02/11/2015

Mouvement peu ordinaire donnant la parole aux femmes à Nairobi, la capitale kenyane, Bunge la Wamama Mashinani est la cible d’attaques du fait de son engagement. Pour poursuivre en toute sécurité ses activités, l’ONG et ses membres bénéficient depuis quelques mois de l'accompagnement protecteur de PBI Kenya.

Des femmes kenyanes unies pour faire entendre leur voix. Telle est la mission de Bunge la Wamama Mashinani, qui signifie littéralement « parlement des femmes ». Active depuis 2008 à Nairobi, capitale du Kenya, cette ONG permet aux femmes de se faire entendre dans une société où beaucoup reste à faire pour avancer la cause de la gent féminine. Les membres de Bunge la Wamama s’attèlent à promouvoir l’image des femmes ainsi que leur accès à l’éducation et à la vie politique et économique. Evoluant comme une plateforme, le mouvement encourage également l’échange d’informations entre les femmes.

Bunge la Wamama se préoccupe particulièrement du sort des femmes vivant dans les bidonvilles de Nairobi. Mais ce n’est pas tout. L’ONG s’investit également dans la lutte contre l’impunité, un traitement dont de nombreux auteurs d’abus sexuels sur les femmes bénéficient bien souvent au Kenya, pays d’Afrique de l’Est limitrophe du Soudan du Sud et de l’Ethiopie. L’organisation est en fait née du mouvement national Bunge La Mwananchi que PBI accompagne et qui s’engage en faveur des droits sociaux et de l’enracinement de la démocratie.

Les femmes constamment dans la peur

« L’insécurité foncière constitue l’un des plus importants domaines dans lesquels les femmes ont le plus besoin de protection »,  déclare Gathoni Blessol de Bunge la Wamama dans une interview publiée par Protection International. « Les femmes ne peuvent pas s’exprimer publiquement et doivent toujours vivre dans la peur. Au travers de violences, d’abus sexuels, de persécutions et d’exactions de toutes sortes, elles sont réduites au silence », poursuit l’activiste des droits humains.  

Dans l’exercice de sa mission, il arrive que Bunge la Wamama prenne des coups, confie une autre activiste, Ruth Mumbi. « Nos membres sont souvent la cible d’attaques du fait de leur appartenance à un mouvement dont l’objectif est de lutter ouvertement contre l’injustice et les abus sociaux ». Pour faire entendre la voix des femmes et renforcer la sécurité de ses membres, Bunge la Wamama travaille constamment en réseau avec d’autres associations qui poursuivent les mêmes objectifs qu’elle.

Recul d’une loi progressiste

Au Kenya, l’année 2010 fut marquée par l’introduction dans la Constitution d’une nouvelle loi progressiste en faveur de la cause des femmes. Cependant, l’avènement au pouvoir, en 2013, du gouvernement Kenyatta s’est traduit par une remise en cause de ces avancées. Charlotte Ivern, volontaire française de PBI Kenya, évoque dans une interview accordée à PBI France les reculs sur le plan législatif que déplorent les ONG kenyanes. A commencer par le fait qu’actuellement toute manifestation publique doit être annoncée d’avance, uniquement en vue de permettre au gouvernement de l’interdire ou d’y faire obstacle. De même, les autorités rallongent sans cesse la procédure d’enregistrement légal des ONG et  restreignent l’accès de ces dernières à l’aide financière internationale.  

En définitive, on assiste à une méfiance qui anime une frange de la société kenyane vis-à-vis du gouvernement Kenyatta. Laquelle méfiance ne faiblit pas principalement à cause de l’impunité qui entoure les violations des droits humains mais aussi du renforcement des restrictions de la liberté de presse. 

Via PBI Suisse

 

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Portrait de la défenseure kenyane Ruth Mumbi

02/11/2015

Ruth Mumbi est née en 1980. Elle  est l’une des membres les plus actives de l’organisation de droits humains Bunge la Wamama après avoir fondé en 2010 puis dirigé Warembo Ni Yes, un groupe de jeunes femmes qui voulait s’assurer que la nouvelle Constitution kenyane allait être adoptée. Bunge la Wamama a été établie à partir de Bunge La Mwananchi, un mouvement national revendiquant une ouverture du dialogue et une justice sociale, pour offrir un espace aux femmes afin de traiter certaines problématiques les affectant spécifiquement. Entre novembre 2014 et avril 2015, elle a bénéficié d’une bourse offerte par l’ONG irlandaise Frontline Defenders pour suivre des formations au Centre pour les droits humains appliqués de l’Université de York. Elle a également reçu plusieurs prix en reconnaissance de son travail.

Rentrée au Kenya en mai 2015, elle a repris son travail avec Bunge La Wamama, s’occupant notamment d’obtenir justice pour les femmes violées, les coupables étant rarement poursuivis. Toutefois, depuis l’exécution extra-judiciaire de son beau-frère Stephan Gichuru le 17 mai 2015, elle a décidé de concentrer ses efforts sur la lutte contre l’impunité pour les responsables de ces crimes dans les bidonvilles de Nairobi. Elle est accompagnée par PBI Kenya depuis 2015.

 

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Entretien avec Charlotte Ivern, volontaire française au Kenya depuis mai 2015

08/09/2015

Pourquoi avoir fait le choix de partir avec PBI ?

Avant d’être volontaire pour PBI au Kenya, j’ai été volontaire pour le projet en Colombie. A l’origine, ma motivation est née de mon envie de m’engager auprès d’une organisation respectueuse du travail et de la vision des sociétés civiles nationales. Je n’avais pas envie d’être une étrangère de plus venue leur dire comment améliorer l’effectivité des droits fondamentaux dans un pays dont j’ignorais presque tout. Je souhaitais apprendre, élargir ma vision des choses et voir comment soutenir le travail des défenseurs des droits humains dans le respect de leur vision. PBI a cela de magique, que nous n’interférons pas dans le travail des défenseurs, nous apportons notre soutien en protégeant leur vie et leurs espaces de travail en utilisant notre modèle, si et seulement si, ils nous le demandent. Nous n’imposons pas notre méthodologie.

De plus, PBI, dans un souci de respect de chacun, promeut une organisation interne basée sur l’horizontalité, la transparence et le consensus. J’avoue que l’idée m’a séduite.

C’est donc après des études de droit, un Master en droits humains et actions humanitaires, et plusieurs stages, que j’ai intégré PBI et me suis orientée vers la protection des défenseurs des droits humains.

Aujourd’hui, si j’ai voulu renouveler l’expérience au Kenya, presque 5 ans plus tard, c’est pour apporter ma pierre à la construction du premier projet africain de PBI. J’avais envie de partager mes connaissances acquises auprès des défenseurs en Amérique latine, de mes collègues au sein de PBI Colombie et ainsi contribuer à soutenir les défenseurs des droits humains kenyans dans leur mission de sauvegarde des droits fondamentaux.

Raconte-nous le travail de PBI au Kenya

L’équipe est basée à Nairobi. Nous sommes actuellement trois volontaires, un coordinateur basé en Espagne et un comité de projet composé de 6 personnes. Dans peu de temps, un quatrième volontaire nous rejoindra, ainsi que la nouvelle coordinatrice de terrain et en début d’année prochaine un/e chargé/e de plaidoyer. Le projet grandit !

L’idée de créer un projet en Afrique est née en 2009. Plusieurs pays ont été présélectionnés et en 2013 la première équipe s’est installée à Nairobi. Le Kenya semblait un pays où le contexte politique permettait à PBI d’offrir son modèle de protection, basé sur la dissuasion au travers de l’accompagnement physique, de l’observation, du plaidoyer, de la mise en réseaux, et de la sensibilisation de l’opinion publique. PBI fait face à de nouveaux enjeux, peu connus des projets implantés en Amérique latine, comme la grande précarité des leaders communautaires, la méfiance mutuelle et le manque de coordination entre les activistes de base et les ONG établies, ainsi que la jeunesse du mouvement social : le Kenya est un Etat récent dont l’Indépendance n’a été proclamée qu’il y a une cinquantaine d’année, et le tissu social y est fragile.

Quels types d’organisations sont accompagnées par PBI ?

Actuellement, PBI accompagne des défenseurs issus des bidonvilles de Nairobi dont les activités cherchent à faire obstacle aux exécutions extrajudiciaires, et à la criminalisation. Nous accompagnons également des femmes défenseuses des droits humains qui luttent pour leurs droits, comme le droit à la contraception, le droit à l’avortement, ou encore pour l’égalité des genres.

Les défenseurs promeuvent la transparence face à la corruption, le respect de l’environnement face à la contamination, le respect des droits civils et politiques face à l’arbitraire étatique, le respect des travailleurs face à l’exploitation économique, le rassemblement face à la multiethnicité, le respect de la dignité humaine face à la paupérisation de la société.

En raison de la promotion des droits fondamentaux, ils font face aux agressions, aux détentions arbitraires, aux assassinats, à la criminalisation judiciaire, à la délégitimation, entre autres menaces qui pèsent sur leur vie.

Quel est le contexte actuel au Kenya?

Le gouvernement cherche à briser les initiatives collectives en allant à l’encontre de la Constitution et des lois progressistes adoptées après 2010 (Année d’adoption de la nouvelle Constitution). Par exemple, l’exigence faite aux mouvements sociaux d’annoncer toute manifestation publique dans le but de l’interdire ou de l’empêcher, le fait de rendre complexe et infiniment long le processus d’enregistrement de nouvelles organisations, de vouloir limiter le montant des financements étrangers aux ONG, de s’immiscer dans la liberté de la presse, ou l’opacité et l’impunité autour des violations des droits humains, provoquent une méfiance envers le nouveau gouvernement de Kenyatta, élu en 2013.

Le terrorisme qui secoue le pays régulièrement, rend le gouvernement suspicieux. Les défenseurs des droits humains ont mauvaise presse car ils défendent la liberté à l’heure de la sécurité nationale. De nombreuses organisations en pâtissent, comme MUHURI et HAKI AFRICA (Cf. article de Frontline avec le directeur de Haki Africa). Ces deux organisations, originaires de Mombasa, sur la côte indienne, font l’objet de nombreuses attaques de la part de l’Etat car elles s’intéressent aux exactions commises par les forces de sécurité au cours de leur lutte contre le terrorisme. Malheureusement le scénario est connu, nombreux sont les Etats qui égratignent voire annihilent les libertés publiques sur l’autel de la sécurité nationale.

Le chemin est long mais la solidarité s’impose. 

 

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"This is Kenya": perspectives locales sur la protection des défenseurs des droits de l'Homme

15/05/2014

 

PBI Kenya vient de publier une analyse contextuelle de la situation politique et des droits de l’Homme au Kenya, afin d’identifier les besoins et les défis des défenseur.e.s des droits humains (DDH) qui travaillent dans ce contexte. Il présente également la méthodologie et la manière dont PBI travaille.

Ce rapport identifie, entre autres, les champs de travail les plus dangereux pour les DDH.

  • Cour Pénale Internationale (CPI): après les violences post-électorales de 2007-2008, la CPI s’est saisie de l’affaire et a commencé à enquêter. D'ailleurs les individus qui coopèrent avec elle risquent souvent de sévères répressions pouvant aller de la menace au meurtre.
  • Anti-terrorisme: les attaques terroristes ont augmenté depuis fin 2011, surtout dans la région côtière du Kenya. Les DDH qui enquêtent sur ces attaques subissent des menaces et des intimidations et sont surveillés. Ceux et celles qui travaillent de leur plein-chef et sans un réseau de soutien et de protection sont particulièrement menacés.
  • Les forces de sécurité: les abus des forces de sécurités sont fréquents, notamment au travers d'exécutions extrajudiciaires. Les DDH qui travaillent sur cette thématique sont en danger et ils sont souvent obligés de vivre cachés à cause des intimidations dont ils sont victimes. De plus, les autorités n’enquêtent que très rarement sur les meurtres, les menaces et les disparitions des DDH.
  • Les droits fonciers: l'accès à la terre est une source de conflit majeure au Kenya. Des défenseur.e.s des droits humains (DDH) s'engagent aux côtés de petits exploitants ou des communautés qui, n'ayant pas de titres de propriété, sont chassés des terres qu'ils exploitent par des groupes ayant des intérêts économiques précis. Les activistes qui défendent les intérêts des paysans subissent des intimidations et des menaces de la part de grands propriétaires terriens.

Pour répondre aux demandes et aux besoins exprimés par les DDH, PBI poursuit l’objectif de fournir des outils de protection spécifiques qui sont :

  • Accompagnement physique: par exemple, PBI accompagne les DDH qui souhaitent déposer des plaintes à la police ou participer à des audiences quand ces derniers pensent que la présence de PBI à leur côté est à même de leur donner plus de crédibilité et de décourager des potentiels agresseurs.
  • Solidarité dans les zones rurales: les DDH ont, à de nombreuses reprises, souligné que l’un des aspects le plus important du travail de PBI est d'assurer une présence internationale à long-terme dans les zones retirées où les DDH sont relativement isolés.
  • Plaidoyer international: les DDH locaux n’ont pas toujours les moyens de le faire eux-mêmes, car ils manquent de réseaux et de capacité. C’est pourquoi ils demandent le soutien de PBI capable de les mettre en réseau avec des organes compétents et ainsi renforcer leurs réseaux.
  • Renforcement de la sécurité: plusieurs DDH ont demandé des ateliers sur la sécurité à PBI.
  • Réseautage: grâce à son caractère international et à son principe de non-ingérence, PBI facilite les contacts entre les différents DDH, par exemple entre les locaux des zones rurales et ceux des organisations des droits de l’Homme à Nairobi, mais aussi entre les DDH et les autorités locales.

Lire le rapport complet de PBI "This is Kenya: local perspectives on the protection of human rights defenders" (en anglais)

 

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Nouvelles de PBI Kenya: avril 2014

20/04/2014

Le Programme existe depuis un peu plus d'un an. Il y a 5 volontaires : aux « anciennes », Belinda et Ingrid, se sont joints en janvier Tom, juriste, Emma et Nancy (recrutées lors de la formation qui a eu lieu en décembre 2013), qui ont remplacé Sabine et Tracy.

En janvier a eu lieu la première réunion annuelle entre les volontaires et les membres du Comité Directeur. Ce fut l'occasion de faire le point, de tirer des leçons sur les expériences passées, et surtout de prendre en commun des décisions concernant les futures étapes du Programme. En effet, si le Programme n'a pas encore mené d'actions « officielles », le groupe s'y emploie et espère aboutir bientôt.

De nombreux contacts ont été pris :

  • avec la société civile : 13 réunions, 3 rencontres avec des ONG internationales;

  • avec des défenseurs des droits de l'Homme: 2 ateliers sur la protection des défenseurs, 1 groupe de travail;

  • avec 2 ambassades;

  • avec les autorités gouvernementales (mais sans succès à ce jour).

En outre les volontaires ont participé à une conférence de trois jours sur la situation des défenseur.e.s des droits de l'Homme au Kenya. Sur ce même thème PBI Royaume-Uni a réalisé une vidéo (en anglais bien sûr). La Directrice de PBI Royaume-Uni, Susi Bascon, a d'ailleurs rendu visite au Programme en janvier.

Toute l'équipe se mobilise en ce moment pour mettre la dernière main à la première publication réalisée par le Programme : on trouvera dans ce document des informations sur les objectifs du Programme, sur les leçons apprises durant cette première année, sur la situation des défenseur.e.s des droits humains, leurs défis et les risques qu'ils encourent, et sur les projets de l'équipe pour leur porter assistance. Ce document, réalisé à l'intention des Groupes nationaux (dont PBI France), devrait paraître bientôt.

Quelques informations récentes sur la situation des droits humains au Kenya :

- le Kenya occupe un rang peu enviable dans l'Index publié récemment par le World Justice Project : 86e, et même 93e à l'indice de corruption;

- la situation des défenseur.e.s des droits de l'Homme y est préoccupante : plusieurs d'entre eux ont récemment subi des menaces, des tentatives d'intimidation, certains ont même subi des violences ou ont été arrêtés;

- la communauté LGBTI s'inquiète des menées de certains activistes qui poussent le gouvernement Kényan à durcir la loi contre les homosexuels, sur le modèle de la loi adoptée le 24 février 2014 par l'Ouganda, où les peines encourues par les homosexuels peuvent aller jusqu'à la prison à vie...

- la situation sécuritaire globale n'est pas bonne. La police n'hésite pas à abattre sans sommation des suspects (20 tués en 4 jours en mars). Les actes terroristes se multiplient dans la région de Mombasa et près de la frontière avec la Somalie.